Les Transalpins

Publié le par Oxymore

Suite des récits de Georges Sublet ; celui-ci est paru dans le Potin n° 10 :

 

Si les gitans, éternelles cigales, suivaient la marche du Rhône dans le sens Nord-Sud pour des raisons précises d’ensoleillement, de confort et de facilité, un peu comme les chats, d’autres migrateurs pour des raisons parallèles mais différentes longeaient ce dernier du levant au couchant depuis bien loin, depuis l’autre côté des Alpes, depuis bien avant la source du Rhône.
Bien loin, bien sûr, quand on mesure les distances en nombre de pas, leur seul moyen étant leurs deux jambes « pedibus jambis » comme l’auraient prononcé leurs aïeux les Latins.

Que d’aucuns les appellent à leur guise Romains ou Transalpins, pour le petit Gaulois que j’étais, c’étaient les Italiens et leurs lapins, Piémontais, Ligurien, Romain ou Milanais, ma rue fut pour beaucoup « le Terminus » (toujours à cause de leurs aïeux).
De mauvaises langues ont même dit que s’ils étaient restés sur la rive gauche, c’est qu’ils avaient la frousse  de traverser de l’autre côté du fleuve. Mais c’étaient des mauvaises langues et une certaine mauvaise réputation. Soyons modeste. De toute façon, qu’auraient-ils été faire de l’autre côté ?

Ces migrateurs-là, plus Fourmi que Cigale , conquérants pacifiques, malins ou malicieux, un peu pirates comme nous l’étions, le proverbe dit ‘tout ce qui se ressemble se rassemble’, de civilisation identique à la nôtre avec ce que cela comporte de bien et de mal, de bon et de mauvais.

Nous étions faits pour nous entendre. Ce qui fut fait avec la complicité du temps.

Ils ont eu des garçons et des filles ; nous avons eu des garçons et des filles puisque c’est ainsi depuis que le monde est monde. Ainsi va la vie.

Le voisinage, le travail, l’herbe à lapins qui permettaient les rencontres a fait le principal. Dans bien des cas, l’amour a fait le reste. Nombreux sont les Gaulois et les Gauloises d’aujourd’hui qui ont des noms latins et tous ces Latins qui ont des noms français. Qui a pris qui à qui ? Dire qui a appris quoi à qui ? Allez savoir… Les deux probablement. Nos vignes étaient voisines, nos terres et nos jardins aussi, nous avons pioché les mêmes ceps ; nous avons moissonné les mêmes blés. Il est bien sûr que « la batteuse et les vendanges », pour rapprocher les êtres, il n’y avait rien de mieux. La preuve habitait dans ma rue.

Parmi ces immigrés des années vingt, il y en avait un venu tout droit du monde des contes italiens. Pinocchio piémontais, il s’appelait « Pépino », un mètre quarante cinq, fourmi mais prêteuse, valet de tous et de personne, éleveur de lapins, plumeur de poules, cuisinier, raccommodeur, philosophe et vieux garçon. Il était ce que nous avions pour coutume d’appeler « Un Personnage » !

La porte était toujours ouverte aux compatriotes harassés de leur longue route : il était pour eux le refuge, le restaurateur, l’interprète, le bon et la bonne hôtesse « faccio tutto » comme on dit là-bas, la pasta fresca, le gniocchi et les macaroni et « sapeva tutto fare »

Il est parti depuis quelques années dans le paradis des Pinocchio. Bon souvenir nous reste.

Tous mes contemporains ou leurs enfants dont le nom se termine en a –o – i – se rappellent de lui. Tous les Emilio, Aldo, Nino, Attilio et les autres avec qui j’ai tellement de souvenirs en commun et pour qui j’écris ces pages.

Nous avons vécu si longtemps ensemble que maintenant et comme moi « ils sont d’ici » Ma ché bella cosa !!... ne croyez-vous pas ?

 

Georges SUBLET

 

Ce beau texte de Georges Sublet m'interpelle tout particulièrement, puisqu'il fait référence à mes racines. Il évoque toute ma famille paternelle, mon grand-père paternel, que j'ai hélas si peu connu, mon père, mes oncles, oui tutta la famiglia ! Mon grand-père paternel était venu à Feyzin en 1922, pour échapper à la vague fasciste italienne (il était syndicaliste) et pour chercher du travail. C'est l'année suivante qu'il fit venir son épouse et ses quatre enfants, trois garçons (Mario, Emilio - mon père -, Attilio) et une fille (Dina). Ils ont tous connu Pépino, mais ne m'en on pas assez parlé... Seule ma chère tatan Dina est en vie, aujourd'hui. (*)

 Ah, si tous, y compris Georges Sublet, avaient connu ce que nous vivons actuellement en France, à propos de l'immigration...

 

 

(*) Ma tante Dina Perret est décédée le 20 juillet 2016, à l'âge de 100 ans

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