Les commerces d'autrefois aux Razes
J'ai eu l'occasion de lire récemment le petit livre de Philippe Delerm, "Je vais passer pour un vieux con" (Editions du Seuil, 2012), avec un passage truculent, dont je vous livre un large extrait :
"On n'annonçait pas "Je passerai à la charcuterie" mais "Je vais chez Mentec". Mentec, c'était davantage la charcuterie que la charcutière. Madame Mentec. (...)
La vie passait sans passer. On allait chez Mentec. On n'avait pas la moindre idée de leurs prénoms : ils étaient un concept, pas une personne. Et puis, sur la place de l'église, Mentec a fermé. Et puis Fort. Et puis Héron. Et puis Mérieux. Et puis Got a vendu. On ne disait pas la quincaillerie, la maison de la presse, la pâtisserie, la pharmacie, mais : Fort, Héron, Mérieux, Got. C'est quand on a commencé à dire la charcuterie, la pâtisserie, la maison de la presse que les commerces ont basculé dans le péril, on ne le savait pas encore. Maintenant, ils sont tous fermés, et c'est une autre façon de vivre dans un village. Il y a eu un plan d'urbanisation. La place est toute neuve, avec de jolis emplacements de parking devant les commerces vides.
Quand on parle de la vie des villages d'autrefois, on entend toujours : "Ah ! oui, l'instituteur, le curé, c'étaient des personnalités marquantes !" Dans le code Soleil on expliquait aux instituteurs qu'ils devaient incarner leur profession vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un jour les instituteurs ont décidé qu'ils voulaient être une personne et plus une fonction. Ils ne souhaitaient plus habiter l'école. Ils ne sont plus une fonction. Tous ne sont pas pour autant une personne. Les curés ont troqué leur soutane pour une veste qui ne cache plus leur petit bedon, mais dissimule à merveille leur spiritualité.
De toute façon, le village ne se réduisait pas à l'instituteur et au curé. Le village, c'était des gens qui acceptaient de devenir une fonction. Maison de la presse Héron, pâtisserie Mérieux, pharmacie Got. Le village, c'était quand on allait chez Mentec."
Lorsque j'ai lu cela, je me suis bien sûr retrouvé plus de 50 ans en arrière, dans mon quartier des Razes. Et ce que dit Philippe Delerm est très juste, on n'allait pas à l'épicerie, mais chez la Catherine, on n'allait pas à la pharmacie, on allait chez les Grumach (elles étaient deux soeurs) - et auparavant la pharmacienne s'appelait (la) Cannelle -, on n'allait pas à la quincaillerie, mais chez Roux, et plutôt même chez "le père Roux", dans son petit magasin qui avait un peu l'allure d'un capharnaüm...
Et puis il y avait "chez Rolland", chez "la Nénette", où l'on prenait le pain, et puis le boucher, Triboulet (ma soeur me raconte que les animaux arrivaient directement là, ce qui la faisait pleurer - le charcutier les abattait donc?), "chez Barnoin", la mercerie...
Deux vues de la rue des Razes, l'une début des années 1900, l'autre plus tard, peut-être les années 50
Et puis le tabac Kopp, entre la Catherine et les cycles Chamontin (on ne disait pas les cycles Peugeot), et Daniel délivrait du carburant pour les cyclomoteurs ; du côté de la gare, il y avait le café Bazin, et "le père" Bazin était aussi coiffeur, c'est là que, gamin, j'allais souffrir, ma soeur m'a aussi raconté qu'à mes 5 ans (ou peut-être 4 ans?), on m'a fait couper là mes "anglaises", les longs cheveux que j'avais alors!...
Tout début des années 1900 pour ce café (à gauche, l'entrée pour le coiffeur, à droite ma grand-mère à la fenêtre de sa demeure)
Juste à côté, il avait une maison bourgeoise occupée par la famille Blache ; cette maison fut démolie, puis Georges Lescot ouvrit un magasin d'électroménager.
Enfin au bout de la rue, avant la place des Razes (actuelle place Claudius-Béry), le charcutier Renaud (qui vendait aussi le dimanche de petits gâteaux, me dit ma soeur), tout près du cinéma Rex, tenu par Serge Specty, le mari de ma cousine Simone, où j'ai passé d'innombrables heures le samedi soir ou le dimanche après-midi, à la découverte surtout de nombreux nanars... Et enfin les deux cafés qui se faisaient face, le café Jaÿr et le café-hôtel Perret (avec le PMU), où officiaient mon oncle Dodo et ma tante Dina, puis mes cousins et cousines.
Tout cela dans les années 1960, bien vivant dans nos mémoires...
Puis comme l'écrit Philippe Delerm, tout cela a disparu. Le quartier est maintenant méconnaissable, place au béton! Par bonheur, à ce jour, il reste encore la maison familiale...
Illustrations cartes postales anciennes et photos diverses
Merci à ma soeur pour les petits "rappels"...