4 janvier 1966 : la catastrophe de Feyzin
La catastrophe de Feyzin est racontée de façon très complète dans l’ouvrage collectif « Feyzin, Mémoires d’une catastrophe », paru en 2005 (Editions Lieux Dits). C’est le livre de référence pour ce malheureux événement, avec de nombreuses photos, des témoignages et un portfolio qui complète l’ensemble. J’apporterai donc dans ce blog mes souvenirs de ces moments tragiques.
C’était le mois de mon quinzième anniversaire et le dernier jour des vacances de Noël. Ma mère vint me réveiller en me disant : « Y a le feu à la raffinerie ! » Il faisait encore nuit, je dus aller dans la chambre voisine pour voir par la fenêtre la grande gerbe de feu qui semblait jaillir de terre. Je pris une photo avec mon appareil (photo que je n’ai jamais retrouvée). Mon père et mes trois sœurs étaient partis au travail, restaient à la maison, avec ma mère et moi, ma grand-mère, âgée de 85 ans et ma nièce, 5 ans (ma mère la gardait chez nous) et nos deux chiens. Je pris un petit déjeuner rapide après m’être habillé.
Photo Le Progrès
Dans la rue des Razes, c’était l’inquiétude. Malgré le froid, ma mère allait sur le pas de la porte ou ouvrait la fenêtre de la cuisine pour parler avec les voisins. « Ca va tout sauter ! » disait-on. Le père Lescot pensait qu’il fallait quitter le quartier. Mais l’indécision demeurait, on disait que les pompiers étaient à pied d’œuvre devant la sphère de gaz. Une grande nervosité régnait. Ma mère m’envoya dans la chambre de ma grand-mère, avec ma nièce. Le jour se levait, et de la fenêtre, je voyais les passants dans la rue, aller et venir, un peu nerveux. J’étais assis dans le fauteuil de ma grand-mère, celle-ci se tenant devant la fenêtre. La première explosion eut lieu, ouvrant tout grand la fenêtre, ce qui blessa ma grand-mère à l’arcade sourcilière. Je me précipitai vers elle, et je vis avec stupeur une foule de personnes dans la rue courir du côté de la gare. Cela me fit penser à des archives de films de la Seconde Guerre. Ma grand-mère saignait, ma nièce ne comprenait pas et avait peur. Ma mère, déjà dans la chambre, nous dit « Il faut partir… » Elle soigna rapidement ma grand-mère. J’en profitai pour reprendre mon appareil photo et prendre du même endroit que précédemment la même vue, mais de la sphère embrasée.
Nous nous habillâmes en hâte, ma mère prit je crois des papiers et de l’argent, me dit d’enfermer le chien dans le cagibi, on n’emmenait que la chienne, notre brave épagneule Loulette, et je laissai mon appareil photo (pourquoi? J'aurais dû le prendre...). C’était la panique dans la rue froide des Razes. Déjà beaucoup de gens étaient partis. Nous montâmes par la passerelle au-dessus de la voie ferrée, il n’y avait alors que nous, ma mère, ma grand-mère, ma nièce et notre chienne. L’incendie était impressionnant, là-bas. C’est alors qu’explosa la deuxième sphère, un immense champignon de feu et de fumée parut s’abattre sur nous. Nous nous baissâmes, sur cette passerelle, celle-là même où j’aimais la fumée des locos et le feu d’artifice du 14 juillet. Ironie du sort, nous assistions au « champignon atomique » juste lorsque nous étions sur la passerelle. Je crus que notre dernière heure était arrivée, mais nous n’eûmes droit qu’au souffle chaud de l’explosion et le « champignon » se rapetissa peu à peu, toutes les sphères étaient envahies par le feu.
Photo Le Progrès (calendrier des Sapeurs Pompiers, 30e anniversaire de la catastrophe)
Quelle frayeur pour nous tous ! Cela nous motiva pour fuir plus vite vers « le haut ». Nous décidâmes de prendre la côte de l’église, déjà empruntée par de nombreuses personnes. Spectacle dantesque, la raffinerie en feu (nous ne savions pas exactement ce qui brûlait). De la côte, nous assistâmes à la troisième explosion, je me souviens que je me suis dit à ce moment là que tout Feyzin allait brûler.
L’église… Les gens disaient qu’il fallait se réfugier dans l’église, vieux réflexe d’effroi… Mais si l’église s’écroulait ? Avant d’arriver au Plateau, quatrième explosion… Finalement, nous ne voyions plus l’incendie, nous n’apercevions que la fumée. Nous improvisâmes, avec ma mère, nous décidâmes de nous rendre du côté de la Nationale, loin de cet enfer. Nous marchions, nous marchions, et nous entendions les explosions successives… Finalement, nous nous rendîmes au café Vernay, à La Bégude. Le café était plein, on écoutait la radio (il n'y avait pas la télévision dans le bar), et on entendait passer les ambulances, toutes sirènes hurlantes. Que se passait-il exactement ? On parlait de centaines de victimes à la raffinerie. Les informations, à la radio ou entre gens dans le café rempli, étaient confuses, contradictoires. Comment prévenir nos proches ? Il n’y avait pas de téléphone portable à cette époque ! Eh bien mon père avait quitté son travail et était allé à la maison, et quand il ouvrit la porte, notre chien s’échappa violemment. Nous le retrouvâmes quelques jours après. Il ne restait dans le quartier que les forces de l’ordre, mais qui pouvait renseigner mon père ? Et mes trois sœurs, comment allaient-elles nous retrouver ? Par la simple logique : on avait déserté le bas, les gens étaient « en haut » de Feyzin. Et finalement, nous nous retrouvâmes tous, petit à petit, dans le café. J’ai un peu oublié ce moment-là. Comme ma mère et ma grand-mère, j’avais été choqué par ce que nous avions vécu, cette espèce d’exode dans une matinée glaciale de janvier… Je me souviens que j’avais passé l’après-midi avec ma sœur aînée, retournée à son travail à Vénissieux. Nous regagnâmes notre domicile en fin d’après-midi. Mais très vite, une voiture avec un haut-parleur nous ordonnait de quitter le quartier, car un « cigare » risquait d’exploser dans la soirée. Nous dûmes donc trouver des solutions de repli : famille à Lyon, amis, voyages dans la « 4 L » de mon beau-frère… Ce n’est que le lendemain que nous pûmes retourner chez nous… et évaluer les dégâts : vitres soufflées, fenêtres cassées, cloisons et plafonds écroulés…
L’événement eut une portée nationale, puis internationale. Les marchands de journaux de Feyzin vendirent des centaines de Paris-Match qui avait fait des photos extraordinaires. Le dimanche suivant la catastrophe, des centaines de curieux vinrent examiner indécemment le lieu de la tragédie. Plus tard, je fis quelques photos des sphères éventrées.
Nous venions de découvrir que Feyzin était devenu un volcan en activité (*).
Feyzin un soir après le 4 janvier : une nouvelle poésie ?
Au premier plan, ce n'est pas un OVNI qui s'est écrasé sur le sol, mais ce qui reste d'une sphère éclatée, projeté à plusieurs mètres... Ci-dessous, les cuves de pétrole ont aussi subi des dommages lors des explosions
Le soir se couche sur la raffinerie avec ses sphères éventrées...
(*) Quelques jours après la catastrophe, Robert Sublet, à sa manière, avait débaptisé sa rue, la rue Thomas, en affichant une pancarte : "Rue Hiroshima" ; j'avais photographié cette pancarte, mais la photo est trop sombre